Le week-end du 23 au 25 septembre a été chargé.
D’émotions.
Il y a trois raisons qui me motivent à consacrer cette édition hebdomadaire du blogue En Jeu à ces nombreuses péripéties ayant marqué la Coupe Laver 2022, à Londres, au cours de cette fin de semaine.
Impossible de ne pas y revenir lorsque, comme moi, 1) vous suivez la carrière d’un espoir aussi éclatant que Félix Auger-Aliassime et qu’il justifie petit à petit les énormes attentes qu’inspire son immense talent, 2) vous avez été un admirateur inconditionnel de Roger Federer depuis qu’il a émergé sur la scène mondiale du tennis et, enfin, 3) vous aimez la compétition qui s’appelle la Coupe Laver, tant dans sa forme que dans le contenu qu’elle livre annuellement.
Et le hasard a voulu qu’une photo prise le vendredi, dans un contexte que l’on connaît, et publiée sur le compte Instagram de Félix, allait résumer ce week-end incroyable avec ses principaux acteurs.
De Novak à Frances et Jack, en passant par FAA et… bien sûr, Roger.
FÉLIX, DE PLUS EN PLUS…
Je croyais avoir bouclé la boucle avec mon résumé de la semaine précédente lorsque j’ai parlé du fait qu’Auger-Aliassime endossait son costume de meneur dans des compétitions par équipe.
Il y était question de son leadership, pour le Canada, lors des Coupes ATP et Davis, en janvier et septembre respectivement.
Eh bien, il a refait le coup dans l’Arena O2 de Londres, toujours drapé de rouge, mais cette fois pour le compte d’Équipe Monde.
Au lendemain d’un excellent match, perdu aux mains de son ami Matteo Berrettini, 7-6(11), 4-6 et 10-7, il devait croiser le fer avec l’ex-numéro un mondial Novak Djokovic. Mais auparavant, en lever de rideau, il a fait équipe avec Jack Sock contre la paire formée de Berrettini et d’Andy Murray.
Si la première manche n’a certes pas été sa meilleure, le Canadien s’est fièrement relevé et a joué du tennis de haut niveau pour prêter main-forte à l’Américain qui a aussi connu sa part de difficulté. Et leur victoire éclatante de 2-6, 6-3, 10-8 a permis à Équipe Monde de rester vivante et de réduire l’écart à 8-7.
Si Félix pouvait garder ce niveau et même surprendre le gagnant de 21 titres de tournois du Grand Chelem, la tendance allait être renversée et les « Rouges » pouvaient même prendre les devants 10-8.
Et c’est ce qu’il a fait. Avec brio.
Après avoir concédé un bris au début de la manche initiale, il a ensuite maîtrisé son rival 7-6(3) et 6-3 grâce notamment à son arme favorite, son service et ses 13 as à la clé.
Qui plus est, si le Serbe semblait ennuyé par une blessure au poignet droit, privant plusieurs de ses coups du punch habituel, il faut donner tout le crédit à son jeune rival de 22 ans. Pour trois raisons.
D’abord, conserver l’excellent niveau de la veille et retomber de son nuage dans les 15 minutes suivant une victoire aussi émotive que celle du double. Ensuite, secouer la nervosité qui coupe les jambes de chaque jeune athlète se retrouvant face à ces monstres sacrés du tennis. Ensuite, rester solidement concentré en voyant que le léger handicap ralentissant son prestigieux rival pouvait lui donner accès à la victoire.
Pour la façon dont il a relevé ces trois défis, Auger-Aliassime mérite toute notre admiration.
Inutile de dire que cet autre fait d’armes, tant sur le plan collectif qu’individuel, ne peut que cimenter encore plus la confiance du Montréalais. Et lui donner cette expérience et cette force mentale nécessaire pour retourner non seulement dans le Top 10. Mais accéder aux Top 5 ou Top 3. Et pas plus tard qu’en 2023.
Rideau !
Le 23 septembre, le monde du tennis a vécu une tempête d’émotions avec le départ de son roi.
Longtemps évoquée, la retraite du grand Roger Federer a été annoncée par lui-même, et orchestrée à sa façon dans un événement qu’il a contribué à créer.
Difficile de mieux contrôler sa destinée. Un peu à la façon dont il avait dirigé sa carrière. Seules les blessures n’étaient pas programmables ni inévitables. Et ce sont elles qui auront hâté une sortie qu’on aurait préféré voir survenir plus tard.
Mais, au risque d’utiliser un cliché : Tout est bien qui finit bien.
LA PHOTO
L’Amitié avec un grand A.
Roger et Rafa. Compétiteurs, mais surtout amis.
Cette image restera longtemps imprimée dans ma tête. Non seulement parce que, devant mon écran, je pleurais moi aussi comme un veau. Mais aussi parce qu’elle est extrêmement rare dans le sport. Deux des plus grands joueurs de l’histoire, deux contemporains ayant forgé, avec un certain Serbe, une triade tellement dominante qu’elle faisait cavalier seul pendant une quinzaine d’années.
Avant d’aller plus loin, commençons par la fin de ce vendredi inoubliable. Par ces larmes longuement versées et facilement prévisibles par un athlète qui était aussi près des gens que possible par sa franchise et sa capacité de s’émouvoir.
Et d’émouvoir son entourage
Roger Federer, sans égards au résultat de son dernier match, aura eu un formidable tour de piste. Sans trop étirer la sauce, on lui avait préparé une vidéo courte, mais efficace, sur la carrière qu’il a connue, avant de lui offrir deux pièces musicales interprétées par la Britannique Ellie Goulding.
LE DERNIER MATCH
Comme je l’écrivais plus haut, vous avez probablement tous vu ce dernier match, celui qui opposait la paire surnommée Fedal au duo américain formé de Jack Sock et de Frances Tiafoe.
D’entrée, quel ne fut pas mon plaisir de voir que l’arbitre de chaise choisi pour ce moment si important était Mohammed Lahyani.
De tous les officiels respectés et reconnus sur la planète tennis, Lahyani coche plusieurs catégories.
Outre le fait qu’il est un excellent arbitre, ce Suédois natif du Maroc est également parfait pour le public – sur place – et à la télé. Arbitre à la voix puissante, il sait être sérieux quand c’est le temps et adopter une attitude légère lorsque la situation s’y prête.
Malgré sa longue expérience, il n’avait peut-être jamais été témoin d’une séquence aussi surprenante que celle mettant en vedette le héros du jour en début de match.
À 1-1, 40-15, Federer a trouvé le moyen d’effectuer un coup que personne n’avait probablement jamais vu non plus. Même si ce coup n’a pas rapporté de point, il faut avouer que les probabilités qu’une telle chose se produise étaient particulièrement minces. Car, ce qu’on croyait un coup gagnant ayant frappé le haut du filet, était en fait une faute directe puisque la balle (qui avait des yeux) avait emprunté le chemin le plus improbable.
Plus tard, Lahyani a démontré un remarquable sens de l’observation et rendu immédiatement une décision sur une séquence que personne dans l’amphithéâtre n’avait remarquée. Frances Tiafoe, près du filet, a voulu récupérer une balle courte en demi-volée, mais son geste imprécis a créé une double touche, quasi imperceptible, sur la balle.
Perplexité et surprise dans l’Arena O2 ? Qu’à cela ne tienne, les multiples reprises au ralenti devaient donner raison au super arbitre.
Par la suite, le spectacle a été à la hauteur.
Malgré l’absence de 14 mois de Federer, quelques erreurs inhabituelles de Nadal et le fait que les deux ne jouent presque jamais en double, Fedal a offert du tennis impressionnant et n’a cédé qu’à la 3e manche, un super jeu décisif de 10 points.
Pointage final : 4-6, 7-6(2) et 11-9 en faveur de Sock et Tiafoe.
Pas le résultat attendu, certes, mais un résultat duquel ressortait une sorte de soulagement.
Je m’explique : cette sortie était bâtie sur un scénario hollywoodien.
1) Un des plus grands joueurs de l’histoire et certes le plus apprécié de son sport annonce son départ. 2) Il le fait dans le cadre du tournoi qu’il a créé il y a cinq ans en compagnie de son ami et partenaire d’affaires Tony Godsick. 3) Un événement qui invite une douzaine des meilleurs joueurs de l’ATP, sinon des athlètes médiatiquement importants et provenant de plusieurs pays. 4) S’ajoutaient sur le banc du principal intéressé les deux autres joueurs formant ce fameux Big three.
Et, tant qu’à y être, ce fameux Big four.
Cette fabuleuse sortie méritait donc de se terminer sur une note parfaite… une victoire de Federer en compagnie de son ami Nadal… Mais même si ces pros de la raquette pouvaient faire pencher la balance par un coup un peu appuyé par ci ou une double faute par là, cela ne s’est pas produit, protégeant l’intégrité de ce sport.
Et le premier à en être soulagé était bien Federer lui-même, dont l’amour propre et la droiture n’avaient pas besoin d’un coup de pouce de ce genre pour s’assurer une sortie… hollywoodienne.
Et comment ne pas aimer cette image des deux équipes rivales, s’unissant pour soulever leur idole au terme des remerciements d’usage et du tour de salutations de Federer ?
« GOAT » ? NON : « MLOAT » !
Depuis le temps qu’il est mentionné, tous sports confondus, l’acronyme anglais G.O.A.T. (Greatest of All Time) est connu de la plupart des amateurs de sports, mordus ou pas.
Cette distinction flirte avec le nom de Roger Federer depuis une bonne dizaine d’années. Mais depuis qu’il a été rejoint au sommet du classement des vainqueurs de Grand Chelem, il y a moins de certitude chez beaucoup d’amateurs de tennis. Et, bien sûr, particulièrement chez les fervents supporters de Rafael Nadal et de Novak Djokovic.
Avec raison, dois-je l’avouer, moi qui suis un inconditionnel de RF.
Mais il faut se rendre à l’évidence. Comme dans les autres sports, il faut établir des bases solides et intégrer des tas de statistiques afin d’évaluer les candidats et de décerner ces lettres si importantes chez les amateurs qui aiment décerner des titres.
Malgré la grandeur de sa carrière, Federer tire de l’arrière dans plusieurs départements. Non seulement face à ses deux contemporains, mais aussi concernant ceux d’une autre époque.
Roger Federer est deuxième pour le nombre de titres du tennis masculin avec 103. Il lui en manquait six pour rejoindre Jimmy Connors. Détenteur de 20 titres de tournois du Grand Chelem, il en a un de moins que Djokovic et deux de moins que Nadal. Et ces deux gars-là n’en ont pas terminé avec les tournois majeurs, pouvant s’éloigner encore un peu, en tête.
En fait, comme l’a compilé l’ATP après Wimbledon, Djokovic et Nadal sont devant Federer pour ce qu’on appelle le classement des « Titres importants » (« Big Titles »), regroupant les G.C., les Finales de fin de saison et les Masters 1000.
Il n’y a que sur son cher gazon londonien que Federer est en avant. Gagnant de huit titres à Wimbledon, il en a un de plus que le Djoker. Et personne ne pourra parier contre les chances du Serbe, à moins de blessure ou d’un déclin éclair.
Nous nous retrouvons donc avec un dilemme. Sur le plan des chiffres, Federer n’est pas le G.O.A.T., forcément. Mais beaucoup répliqueront que l’absence de controverses, son parcours sans faute hors des courts, son comportement public irréprochable double d’une image de mari et de père parfait ne viennent-ils pas militer pour lui décerner ces quatre lettres ?
Les inconditionnels vous diront que oui. Les logiques (et autres) secoueront la tête d’un non catégorique.
Je souhaite donc trancher ici en lui décernant un nouvel acronyme, légèrement dérivé du précédent et que peu pourront contester :
Pourquoi pas le M.L.O.A.T. (Most Loved of All Time) ?
Selon moi, Roger Federer restera, au tennis, le plus aimé / apprécié de tous les temps.
C.Q.F.D. (Ce qu’il fallait démontrer)
Courriel : privard@tenniscanada.com
Twitter : @paul6rivard
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